• Ces salariés rémunérés au smic toute leur carrière : « Le temporaire dure depuis vingt-deux ans »
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    Un salarié contrôle une machine dans la verrerie d’Arc, à Arques (Pas-de-Calais), le 9 septembre 2022. SAMEER AL-DOUMY / AFP

    Ce phénomène de stagnation concerne notamment les femmes et les travailleurs âgés de plus de 50 ans.
    Par Jérémie Lamothe - Publié le 02 avril 2024

    En intégrant Phone Régie en 2002 en tant qu’hôtesse d’accueil standardiste en région parisienne, Géraldine (le prénom a été changé), alors âgée de 30 ans, en était persuadée : ce boulot « alimentaire » rémunéré au smic, qui lui permettait d’échapper au chômage, ne serait que « temporaire ». « Mais le temporaire dure depuis vingt-deux ans, et je suis toujours au smic », raconte-t-elle.

    Elle a bien été augmentée « une fois » par sa direction « d’une dizaine d’euros en 2010 », se remémore-t-elle, avant d’être rattrapée par le smic, indexé, lui, sur l’inflation. « A quoi ça sert d’aller batailler auprès de la direction pour avoir une augmentation, si c’est pour être de nouveau au smic quelque temps après ? », s’interroge cette mère de deux enfants, âgés de 10 et 18 ans.

    Plus de 3 millions de salariés, soit près d’une personne sur cinq (17,3 % ) dans le secteur privé non agricole, sont payés actuellement au salaire minimum (1 398,69 euros net par mois). Un niveau inédit – la proportion était de près de 12 % en 2021 – atteint en raison, notamment, de la flambée des prix et de la politique d’#exonération de charges. Les rémunérations jusqu’à 1,6 fois le smic sont exonérées de cotisations patronales, mais pas au-delà, ce qui n’incite pas les entreprises à revaloriser les fiches de paie. « Augmenter de 100 euros le revenu d’un employé au smic » revient aux entreprises à « débourser 238 euros de plus », résumait, le 30 janvier, à l’Assemblée nationale, le premier ministre, Gabriel Attal.

    « Manque de considération »

    Des employés, à l’instar de Géraldine, se retrouvent ainsi cantonnés au #salaire_minimum tout au long de leur vie professionnelle. Dans une étude parue en 2019 sur les trajectoires salariales de salariés au smic entre 1995 et 2015, la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques estimait que 20 % des salariés rémunérés autour du smic l’étaient depuis au moins deux ans.

    Ce « phénomène de stagnation » se « concentre sur une partie des salariés qui restent durablement rémunérés » au smic, notamment les #femmes et les travailleurs de plus de 50 ans. Et plus le temps passé au smic s’accroît, plus le risque de ne pas voir sa fiche de paie évoluer augmente. Derrière cette absence d’évolution salariale, ces travailleurs au smic, qui occupent le plus souvent un #emploi_pénible (hôtellerie-restauration, grande distribution, logistique…), souffrent aussi « d’être bloqués à leur poste et de ne plus pouvoir connaître de mobilité ascendante au sein de leur entreprise », relève Lucas Tranchant, maître de conférences en sociologie à l’université Paris-VIII. Et il y a cette réalité moins visible, mais tout aussi lancinante pour ces salariés, du « manque de considération » et de « reconnaissance » qui accentue leur amertume vis-à-vis de leur employeur, les interrogeant sur le sens même de leur #travail.

    « Le salaire, c’est ce qui donnait une reconnaissance au travail réalisé, notamment dans les emplois pénibles, avance Lucas Tranchant. Mais c’est en train de disparaître avec cette #smicardisation des emplois peu qualifiés. » « On est là au cœur des tensions sociales », ajoute le directeur de l’Observatoire des inégalités, Louis Maurin : « S’il n’y a pas de dynamique [salariale ou professionnelle], c’est l’idée que, quelque part, vous ne comptez pas. Il doit y avoir une forme de responsabilité des entreprises sur ce qu’elles font de la vie des gens. »

    Alors qu’il commence sa « vingt-cinquième année » au smic depuis la signature de son contrat en 1999 chez le géant du verre en difficulté, Arc International, Christophe, 48 ans, se souvient « en [avoir] fait, des demandes d’augmentation ». A chaque fois, il a obtenu la même réponse : « Ils n’ont pas de budget, pas de place pour que j’évolue… Ils ont toujours une excuse pour ne pas m’augmenter. » A tel point que cet opérateur en préparation et conditionnement dans l’usine d’Arques (Pas-de-Calais) envisage de quitter la stabilité de son CDI pour devenir coach sportif, avec l’espoir de gagner davantage : « Je peux viser entre 60 et 80 euros de l’heure, alors que je suis autour de 11 euros chez Arc… »

    Un décompte scrupuleux

    Car avec la poussée inflationniste de ces deux dernières années (plus de 10 % d’#inflation cumulée en deux ans, + 20 % pour les produits alimentaires) les fins de mois sont devenues encore plus difficiles pour ces salariés au smic. « Je survis, souffle Christophe. Je ne fais pas mes comptes, quand faut payer, faut payer… »

    Afin de ne pas se laisser déborder par cette envolée des prix, Chantal (le prénom a été changé), salariée depuis cinq ans au smic par une association dans le Sud-Est, tient, elle, un décompte scrupuleux de chacune des dépenses de la famille sur un tableur Excel. « On est tout le temps dans la réflexion : est-ce qu’on peut acheter ça, ou pas ? », explique cette employée de 41 ans, mère de deux enfants. Il a aussi fallu apporter quelques changements aux habitudes familiales : la viande rouge se fait plus rare à table, le compte Netflix à 150 euros par an a été supprimé et, pour les vacances, « on essaye aussi de rogner, en allant chez les amis, la famille », explique Chantal.

    Opératrice téléphonique au #smic chez Concentrix Webhelp depuis dix-huit ans et mère célibataire de deux enfants, Nadège Chainier voit, elle, son #salaire être « mangé aux trois quarts » chaque mois par son prêt immobilier de 600 euros, et la consommation d’eau et d’électricité. Alors, elle a dû faire une croix sur les vacances, ce qui a provoqué l’incompréhension de la plus jeune de ses filles, âgée de 10 ans. « Elle m’a dit qu’elle n’était jamais partie en vacances pendant une semaine comme on a pu le faire pour sa grande sœur. Ça fait de la peine en tant que parent d’entendre son enfant dire qu’il veut partir en vacances. On se dit : “Merde, on a loupé un truc” », raconte la salariée de 48 ans.
    Jérémie Lamothe

    Les emplois qui, soit au SMIC horaire soit guère mieux payés, sont rémunérés en deçà du SMIC mensuel, qu’il s’agisse de temps partiels ou/et d’emplois discontinus sont zappés. Autant de salarié.e.s à ajouter aux 17% de #smicards proprement dit.

    55 ans après on "pense" le SMIC dans les termes de l’époque de son instauration, en 1967.

    #emploi #précarisation