• De l’essentialisme stratégique

    " Il est un concept de Gayatri #Spivak qui a suscité nombre de débats au sein des études postcoloniales aussi bien que chez les féministes. C’est celui d’essentialisme stratégique. La critique de l’essentialisme est omniprésente dans les pensées critiques contemporaines. Cette critique soutient que toutes les identités, qu’elles soient de genre, de classe ou ethniques, sont socialement construites, et par conséquent contingentes. Elles ne renvoient en d’autres termes à rien d’objectif ou de substantiel. Le concept d’essentialisme stratégique est dérivé de cette critique. Il s’accorde avec le fait qu’il n’existe pas d’essences dans le monde social. Il attire cependant l’attention sur le fait que, dans la vie quotidienne et dans les luttes sociales, les individus se réfèrent fréquemment à de telles essences, à tel point que celles-ci semblent difficiles à faire disparaître. Par exemple, la catégorie de « femme » mise en circulation par le féminisme classique a généré de l’exclusion, en ceci qu’elle a parfois conduit le mouvement féministe à se désolidariser d’autres secteurs opprimés. C’est l’objet de la critique que formule Judith Butler à son endroit. Cette catégorie a toutefois également permis aux femmes de se mobiliser en tant que femmes, c’est-à-dire de se sentir appartenir à un groupe dominé et d’œuvrer en faveur de son émancipation. Le concept d’essentialisme stratégique soutient que la fixation provisoire d’une essence dont on sait qu’elle est artificielle peut dans certains cas être stratégiquement utile. Autrement dit, l’anti-essentialisme ne peut être que théorique : s’il prend effet dans la pratique, il tend à paralyser l’action, car toute action suppose la formation de collectifs, et les collectifs tendent à « essentialiser » leurs identités. La notion d’essentialisme stratégique a été soumise à critique, et G. Spivak a elle-même pris ses distances par rapport à elle. Tout essentialisme, fût-il stratégique, implique une séparation entre ceux qui y sont inclus et ceux qui en sont exclus. Or, dans un contexte marqué par le thème du « choc des civilisations » et le (supposé) retour des communautarismes, ou en tout cas par la promotion de ces thèmes par les mouvements néoconservateurs, laisser entendre depuis la gauche que certaines formes d’essentialisme seraient légitimes est problématique. Pour autant, il faut reconnaître que G. Spivak a le mérite d’avoir posé un problème réel. La plupart des critiques contemporains de l’essentialisme (qu’ils relèvent du féminisme ou non), la question des conditions pratiques d’émergence de l’action collective est absente. Est en particulier absente la question de savoir comment agir collectivement sans se doter d’une identité collective minimale, reconnue par tous (partisans et adversaires) et constituant le socle programmatique et stratégique du groupe militant. De toute évidence, la notion d’essentialisme stratégique ne consistait pas pour G. Spivak à donner carte blanche à toutes les pulsions essentialistes imaginables. Même si elle ne le formule pas en ces termes, le problème n’est en définitive pas tant de savoir s’il faut ou non congédier les essences que d’opposer de bonnes essences à de mauvaises...."

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